Par Youssef O.
Je voudrais commencer en posant un préambule aux lecteurs :
Youssef o.
– Aux « GOR » (1) : ne vous fiez pas à mon patronyme pour immédiatement me qualifier d' »Adorateur » sans prendre le temps d’analyser, en toute responsabilité et avec tout votre sens critique, les quelques lignes qui suivront (je reviendrai à la question du patronyme infra).
– Aux « Adorateurs » (2) : ne vous fiez pas au premier postulat que je viens de poser pour immédiatement me taxer de « Pro Gbagbo » (3).
Au point où nous en sommes dans ce pays, il est devenu important de clarifier sa position avant de s’exprimer.
Ceci étant fait, je nous invite à réfléchir collectivement sur le sens à donner au concept d’ <<ivoirien d’abord>> qui a émergé suite aux élections municipales, spécialement dans la circonscription électorale du Plateau.
D’emblée, promouvoir l’ivoiren d’abord quand on est en Côte d’Ivoire, je ne crois pas qu’il s’agisse EN SOI d’une quelconque xénophobie. Ça s’appelle « la préférence nationale ».
Cependant que doit-on entendre par « ivoirien », pour ne pas dire qui est » l’ivoiren » ?
L’ivoiren, est-ce celui qui est ivoirien de père et de mère ? Ou, peut-on être ivoirien lorsqu’on est né d’un seul parent ivoirien (l’autre parent étant donc d’une nationalité étrangère) ?
Si l’on s’en tient au Code de la nationalité, il suffit que l’on soit né d’un seul parent ivoirien pour acquérir la nationalité ivoirienne.
Ainsi l’on peut être né d’un père malaisien ou sénégalais et d’une mère ivoirienne, et être ivoirien. On peut aussi inversement être né d’un père ivoirien et d’une mère congolaise, et être parfaitement (d’un point de vue juridique) ivoirien.
Sur le plan du droit, les choses sont donc claires.
Mais si on s’oriente plutôt vers une analyse sociologique, on a comme l’impression que que l’ivoiren a été redéfini. Ainsi dans la conscience collective (concept très subjectif) ivoirienne, on a l’impression que l’ivoiren est d’abord celui qui est ivoirien de père et de mère. Ensuite, l’ivoiren est aussi celui dont le père seul est ivoirien (la mère pouvant donc être étrangère sans que cela ne pose problème à qui que ce soit). Par contre, on accepte difficilement que soit ivoirien celui dont la mère est ivoirienne mais le père étranger.
Et on en revient donc à la question du patronyme.
Selon la législation ivoirienne, quand l’enfant est reconnu par ses deux parents, il porte normalement le patronyme de son père. Ainsi un enfant né d’un père ivoirien nommé « KOUADIO » (4) et d’une mère sénégalaise, s’appellera donc « KOUADIO« . Et lorsqu’il déclinera son identité, personne ne doutera un seul instant de sa qualité d’ivoirien.
Ainsi également, un enfant né d’un père sénégalais nommé « THIAM » et d’une mère ivoirienne nommée « KOUADIO » s’appellera « THIAM » comme son père. Mais lui par contre lorsqu’il déclinera son identité, on imaginera automatiquement qu’il n’est pas ivoirien sans jamais se soucier de savoir si sa mère est ivoirienne, auquel cas il serait lui-même ivoirien selon la loi. Avouons qu’on réagit tous comme ça lorsque nous sommes confrontés à ces situations, moi-même le premier parfois.
Il y a donc comme une contradiction entre la définition légale de l’ivoirien et sa définition sociologique dans l’état d’esprit des ivoiriens.
Qui est donc » l’ivoirien » ? Je crois qu’il faudrait clarifier cela dans notre esprit afin de mieux mettre en oeuvre le concept d’ivoirien d’abord, et ainsi éviter d’exclure de cette préférence nationale des gens qui sont parfaitement ivoiriens au regard de la loi ivoirienne.
Si on considère par ailleurs que la femme ivoirienne n’est pas suffisamment digne de transmettre sa nationalité ivoirienne à ses enfants qu’elle aurait avec un non-ivoirien (au nom de quoi je me demande), il faudrait alors en tirer toutes les conséquences et réviser notre Code de la nationalité. Sinon pour le moment, un enfant né d’un non-ivoirien et d’une ivoirienne jouit valablement de la nationalité ivoirienne. A titre d’exemple, Tidjane et Augustin THIAM portent un patronyme sénégalais, leur père l’étant, mais ce sont les neveux directs de Félix Houphouët-Boigny (les enfants de sa sœur). Qui en Côte d’Ivoire pourrait se proclamer plus ivoirien qu’eux?
Enfin, n’avons nous pas une forme de complexe dans la reconnaissance subjective de la qualité d’ivoirien aux enfants nés d’un non-ivoirien et d’une ivoirienne ?
Ainsi, on acceptera plus facilement comme ivoirien un individu né d’une ivoirienne et d’un père occidental (pour ne pas dire blanc), et portant donc le nom occidental de son père. Je ne citerai pas de nom mais on a de nombreux exemples de personnes dans cette situation qui font de la politique en Côte d’Ivoire sans que cela ne pose de problème à qui que ce soit.
Par contre on semble accepter plus difficilement comme ivoirien un individu né d’une ivoirienne et d’un africain non-ivoirien.
Voilà les quelques réflexions que je voulais partager, espérant qu’elles puissent nous pousser à la méditation et à la « réforme » de notre législation si nécessaire…
NOTES
(1) – « GOR »: Appellation ironique donnée aux personnes originaires de l’Ouest de la Côte d’Ivoire ayant juré loyauté et fidélité à l’ex-Président de la République, Laurent GBAGBO.
(2) – « Adorateurs »: Appellation ironique donnée aux personnes attachés à la politique et à la personne du Président (actuel) de la République ivoirienne, Alassane Dramane OUATTARA (dont les initiales forment ADO > « ADOrateurs« )
(3) – « Pro-Gbagbo »: Appellation générique donnée à toute personne soutenant l’ex-Président de la République, Laurent GBAGBO, au-delà de l’origine.
(4) – « Kouadio« : Patronyme (parfois prénom) très répandu en Côte d’Ivoire, donné par le groupe ethnique « AKAN » présent du centre au sud-est de la Côte d’Ivoire.